SAMEDI 4 Décembre 2021, aux Franciscaines de Deauville. 

                      FRANCOIS, LE SAINT JONGLEUR

 

                                         DARIO FO

Guillaume Gallienne seul en scène qu'ils disaient.... Même pas vrai. Ils sont des centaines. Avec rien, 3 fois rien et c'est pas beaucoup, une table noire sur fond noir et lui en noir, nous "voyons" et je jure que je les ai vus, défiler un cardinal, des évêques, des paysans, une foule, des soldats, des maçons, des moines, un loup, le Pape pas si innocent, le sommelier ( à pleurer de rire) des noces de Cana qui n'a plus de vin, Jésus bien sûr, Berlusconi, des oiseaux et d'autres... comment ce "miracle" pour rester dans le thème, est-il possible? Fastoche. Une gestuelle précise, des axes parfaits, une voix et phrasé Comédie française et surtout bien à lui, des regards, des sous textes et sous entendus effleurés et vous avez le cocktail parfait du vrai comédien. Pas besoin d'esbroufe, de machinerie de guerre, d'effets spéciaux pour donner un texte au public. Juste de la justesse. 3 fois rien vous disais-je. Sauf que.... Il y a comédien et comédien. et ... Les comédiens et Guillaume, au théâtre ! Pourrait être le sous-titre de tous les films et pièces où Guillaume joue.
A mes yeux, le seul et unique successeur de Robert Hirsch. On s'est dit quelques mots....

Bastien

Pour ceux qui sont capables de lire au-delà de 3 lignes.... Et pour répondre à l'une qui en ces lieux, me demandait ce que j'entendais par " VRAI Théâtre" Je vais lui répondre au risque de me prendre une volée de bois vert.... par des gens que j'aime et respecte pourtant.

 Je vais commencer par la fin et reviendrai à la pièce....

 Je vais à Paris à chacune de ses créations et j’en repars, à chaque fois, abasourdie.

 Je n’avais jamais osé aller le voir après le spectacle... avant hier soir... par respect et par timidité, moi qui n’ai peur de rien ou si peu…

22h 30: Ce qui suit est authentique bien sûr:

 Beaucoup se font prendre en photo, demandent des autographes, je passe en dernier, exprès... Je m'avance vers lui et là, je n'en crois pas mes yeux, il se recule, comme effrayé, agitant ses bras, bafouillant et je me dis " Il est encore dans son personnage, c'est impossible, les grands comédiens enlèvent la peau du personnage dès le rideau tombé, c'est donc autre chose" Je le rassure alors " Je ne veux ni photo, ni autographe, je veux juste vous dire " Merci" et je m'en vais" Robert Hirsch recule encore et s'assied, épouvanté, voilà, épouvanté ! Voyait-t-il en moi la Vérité au-delà du portrait de Dorian ? Voyait-t-il des monstres encore ignorés derrière mon apparence? Je le croyais d'avance, lui le visionnaire ! Son attaché de presse me présente une chaise, m'engage à m'asseoir face à lui et referme la porte doucement. Je suis seule face à mon Maître.

 On se regarde, longtemps, j'enlève mon chapeau noir, il plisse les yeux, les tics diminuent, il se détend et me dit " Que me veut cette belle demoiselle, à moi, "la vieille plante dans un vieux pot "?reprenant ainsi une réplique de la pièce. On éclate de rire et nous avons parlé ... Robert Hirsch est très timide....

 Belle demoiselle ? Il est vrai qu'avec ses 91 ans, je fais figure de gamine... Nous avons parlé Théâtre bien sûr. Il a voulu tout savoir, alors je lui ai raconté, mes rêves détruits en 2011 pour de sombres histoires de droits.... mes mises en scène, ma conception du Théâtre et ce n'est qu'au bout d'un certain temps que j'ai réalisé que j'étais en train de deviser, de m'enthousiasmer, de sauter partout, de refaire des scènes, de lui donner mon avis sur la mise en scène que je venais de voir et lui écoutant, me remerciant, j'étais en train d'écouter mon idole absolu au Théâtre, en croquant des fruits confits et un verre à la main, Je parlais avec et à Robert Hirsch... C'est moi qui me suis mise à trembler alors, je l'ai embrassé, il m'a serrée fort et me suis envolée, en larmes......Oui, je l'ai vu et je lui ai parlé, seule à seul, dans sa loge, sans témoins... Un rêve assouvi, d'autres à venir...

Quand j’étais petite, je voulais être Robert Hirsch… ce qui a poussé mes parents à me faire examiner par un psychologue, chose rare à l’époque….

 Je pense que quelqu’un qui n' a pas vu Robert Hirsch au Théâtre, ne peut dire qu’il connaît le Théâtre.

 

Il EST le Théâtre.

 Ni homme, ni femme, ni jeune, ni vieux, tout cela à la fois et bien plus encore. Ni beau, ni laid, ni petit, ni grand. Il est plusieurs.Il se joue des genres et des conventions, il dépasse les limites de l’interprétation.

 Dans « le Bel air de Londres » il y a plus de15 ans et pour lequel il a rçu son 6ème Molière, j’étais face à lui, en loge privée au balcon, et j’avais le sentiment qu'il ne jouait que pour moi…comme tous les autres spectateurs. Je retiens ce « Chenu ! Vous avez dit « Chenu ! ? »…. J’en ris encore… Cette diction du Français ( Comédie française) et ce jeu à la Chaplin, de cape tournoyante 10 fois avec ce regard vers le Public où en sous-texte, j’ai lu «Il y a 10 ans, j’eusse tourné 100 fois"

 La pièce qu'il joue en ce moment ? Sans doute pas un chef-d'oeuvre.... Trop foullis, des rajouts complexes dont elle se serait bien passée. Le sujet est porteur et on ne peut qu'y adhérer.... Facile, oui, il y a à la fois de la facilité à écrire sur la vieillesse et le sort qui nous attend tous et de la difficulté à sortir des sentiers battus... mais portée cette pièce par une belle distribution avec un bémol pour le jeune homme qui se la joue un peu trop " Conservatoire" et qui en est agaçant. Pas assez de naturel, comparé au reste de la distribution, superbe! Alors, et RH ? Que dire que je n'ai dit plus haut ? Alors, je vais vous dire ce qu'est le vrai Théâtre à mon sens et je le partage...avec Robert Hirsch !!!!!

 Le Théâtre, c'est une pièce dans une pièce ! ... c'est des murs, oui, c'est fermé ! des coulisses, des fauteuils, oui, les gens sont assis ! une scène, des tréteaux, des planches, comme vous voudrez mais UNE SCENE !

 ET ... et ce n'est pas un détail, un espace entre scène et public, un INDISPENSABLE espace qui SEPARE les acteurs et les spectateurs, qui permet de les mettre à distance pour mieux aller les chercher ! et pour respecter l'illusion afin de la rendre réelle ou le contraire ! Cet indispensable croisée des chemins entre la scène et le Public, là où se trouvait autrefois le souffleur. S'il manque cet espace, il n'y a pas Théâtre.

 Si je devais dessiner le Théâtre, ce serait une ellipse où l'on trouverait en son centre le point T ( on dit "être à Théâtre" ) là où se jouent les scènes essentielles, majeures et devant le point T, le point P ( comme Public) . S'il n'y a pas cette forme parfaite, celle-là même qui régit le cours des planètes et de leur rotation parfaite et divine, s'il n'y a pas cette distance là, il n'y pas Théâtre.

 Le Théâtre est l'Art de la proximité et ne supporte pas la médiocrité.

 Je vois, j'entends se lever mille protestations: Et le Théâtre de rue alors ? J'en demande pardon par avance à tous ces bateleurs que j'aime, à tous ces saltimbanques que j'admire et respecte mais non, le Théâtre de rue n'est pas Théâtre. Molière a commencé dans la rue certes, mais sur des Planches ! et ne révait que d'avoir un VRAI théâtre. Les Mystères médiévaux se jouaient sur le parvis des églises et en hauteur! sur les marches, le Théâtre est sacré ! le Théâtre filmé n'en est pas, le Théâtre chanté encore moins, le Théâtre dansé uniquement si c'est " Le Bourgeois Gentilhomme" Les one-women ou men shows non plus, le Théâtre d'impro, l'horreur absolue ! Le Théâtre, c'est du texte, un texte, appris jusqu'à la démesure, à chanter, à dire en verlan, à dire en conduisant, à répéter sans cesse, en faisant le poirier, en oubliant tout autour de soi jusqu'à ce qu'il vous appartienne et donne le sentiment que vous l'inventez au fur et à mesure........Alors, me direz-vous, il suffirait d'une scène, de fauteuils et de s'enfermer, d'apprendre un texte pour qu'il y ait Théâtre ? C'est un bon début....

 Après, il faudra bien sûr, arriver à l'heure MAIS OUI ! Robert Hirsch était déjà en loge à 19h:00 ! pour un passage à 21h là où je vois des starlettes arriver à moins le quart de leur entrée en scène. Le Théâtre, c'est DIFFICILE ! et pas à la portée de tous ! Je n'aime pas la démocratisation du Théâtre qui fait que n'importe qui ouvre des cours, raconte n'importe quoi à des jeunes ou moins jeunes, qui sans eux, auraient pu faire du bon boulot. Le Théâtre, c'est du BOULOT ! Tout, sauf un plaisir que l'on se donne, pour se laver la tête ( il y a des shampooings pour cela) pour se détendre (il y a la Thalasso pour cela).

 

Je connais déjà les arguments de ceux qui ne partagent pas ma vision d'excellence sur le Théâtre " Ce sont les défauts qui sont intéressants au Théâtre, c'est l'Imperfection, ce sont les ratages, c'est la non-conformité, c'est..." .... Irrecevable !

 Le Théâtre, c'est une scène, des spectateurs à distance, un texte, des techniques , des savoirs-faire, des placements judicieux, une corporalité animée, une rigueur d'athlète et.... du Talent... Le mot est lâché !

Là, je ne peux que vous conseiller les valeurs sûres, les grandes pointures, ne perdez pas votre temps à aller applaudir ces immondes créations amateurs ou professionnelles qui font tant de mal au VRAI THéâtre. Il est normal que le Théâtre soit réservé à une élite car 98% de ce qui est présenté en France est mauvais!

Allez voir Robert Hirsch et tant d'autres, courez y vite car il va filer, courez y vite avant qu'il ne s'envole. Allez entendre SA voix, magnifique, qui porte haut, cette diction ! Je vous le dis, en vérité, quand Robert Hirsch s'en ira, je porterai le deuil. Il m'accompagne depuis mes 8 ans, quand pointant mon doigt devant l'écran de l'énorme téléviseur, j'ai dit en le montrant : " Plus tard, je veux être lui"...

 Je le lui ai dit, il y a quelques heures, il a baissé les yeux modestement, gêné et heureux je crois. Merci à ceux qui auront eu la rigueur de me lire jusqu'au bout...de mes rêves..

 

 

Lettre à une jeune comédienne de Gaston Baty

Il disparaissait l'année où je naquis... Etrange... Cette lettre, cette lettre que j'avais présentée lors de mon audition au Conservatoire et qui me valut force compliments et ma sélection

 

Elle ne date pas d'hier et pourtant, en remplaçant quelques références désuètes et qui ne parlent pas aux jeunes générations, elle est très actuelle car intemporelle.

 

Je vous laisse la lire et jusqu'à la fin bien sûr.... C'est cette dernière phrase qui me valut l'enthousiasme du jury et ma sélection. 

Petite Mademoiselle,

 

Votre mère était mon amie d'enfance, vous vous souvenez de m'avoir vu quand vous étiez toute petite, et là-dessus vous me témoignez d'emblée une confiance qui m'embarrasse autant qu'elle me touche.

 

Je ne la mériterai qu'en vous répondant comme je l'aurais fait à votre mère, sans hésiter à risquer de vous faire quelque peine.

 

Vous avez joué Esther au Sacré-Coeur, Les Romanesques chez les LigierDeschamps, vous avez pris des leçons de diction avec le brave père Montorgueil. La société de notre petite ville vous reconnaît du talent et le nom «d'artiste» ne lui cause plus l'horreur que je lui ai connue quand je l'ai quittée il y a quelque quarante ans; Vous avez lu tous les classiques (…)

 

Vous avez rêvé les plus belles représentations du monde. Il est normal que vous soyez intoxiquée et ne pensiez plus qu'au théâtre.

 

Il n'est pas carrière plus incertaine ...

 

Un écrivain, un menuisier, un peintre sont seuls devant leur tâche: leur

œuvre ne dépend que d'eux-mêmes. Mais le comédien dépend des autres, il faut qu'il soit distribué pour avoir la possibilité de s'affirmer; il faut ensuite que le metteur en scène ne se trompe pas sur lui, ne l'aiguille pas à tort vers un emploi auquel, s'il y était simplement convenable, il resterait condamné. Il y a peut-être des acteurs inconnus qui avaient autant de talent que les plus illustres et n'ont jamais pu le montrer.

 

Le hasard joue chez nous, plus souvent qu'ailleurs, un rôle assez affreux. Vous n'avez pas peur, bien sûr, et vous êtes prêtes à courir votre chance?

 

 

Voyons un peu ce qu'est cette «chance» là. Vous êtes de trop bonne souche pour être attirée par quelque désir, même inconscient, d'exhibitionnisme. Vous êtes trop cultivée pour que vous n'ayez pas d'autres moyens de vous exprimer que de jouer la comédie. C'est donc un troisième mobile qui vous pousse, le plus authentique et celui qui fait les plus grands: vous vous sentez trop au large dans votre peau et vous avez besoin de vous ajouter des personnages imaginaires: Supposons que tout aille pour le mieux. Vous jouez très vite des rôles importants et qui vous conviennent. Vous voilà en pleine euphorie. Mais à chaque création nouvelle, votre personnalité déjà bien mince s'amenuise chaque fois davantage. Vos créatures vivent de vous, et plus votre talent est vrai, plus complètement vous vous donnez à elles! Joyeusement

d'abord.

 

Puis pour avoir trop joué de scènes d'amour, vous serez incapable d'aimer dans la vie; si vous vous y appliquez, ce ne sera qu'un rôle encore, votre moins bon sans doute, et vous ne l'ignorerez pas. Quand vous aurez conscience que vos personnages vous auront absorbée vous serez prise de panique: les vedettes ont souvent mauvais caractère parce qu'elles croient affirmer ainsi une personnalité, qu'elles savent bien ne plus avoir. Leurs exigences saugrenues, leurs volontés toujours changeantes et toujours impératives, camouflent leur indécision; autoritaires et inconstantes, leur vanité n'est qu'un aveu qu'elles ne peuvent plus avoir d'orgueil. On les trouve odieuses ou ridicules; au vrai, elles sont pitoyables. L'âge viendra vite. Vos rôles les plus jeunes ne seront pas longs à ne plus vouloir de vous.

 

Le public, qui va perdant en qualité ce qu'il gagne en nombre - le plus élégant est le plus grossier, et le plus cérébral le moins sensible - a de cruelles exigences que lui a données le cinéma. Mlle Mars jouait Agnès , la soixantaine passée; une salle d'aujourd'hui emboîterait Mlle Mars. Un soir, on rira parce qu'une réplique dira que vous avez vingt ans. Un rôle mort. Une autre soir, une plaisanterie fusera parce qu'une réplique dira que vous êtes belle. Un autre rôle mort. Un autre, un autre, un autre. Et quand vous serez une grosse dame alourdie

de graisse ou une maigre - tête de momie sur faisceau de tendons quand vos rôles qui vous tenaient lieu de vous-même, vous auront tous abandonnée, vous ne serez pas seulement seule, vous ne serez plus personne .

 

Réalisez bien cela, petite Mademoiselle. Se vouer au théâtre - si l'on n'est pas seulement une employée, un rouage, mais une vocation - c'est accepter cette fin-là. Ce qu'on appelle une «bête de théâtre», c'est une victime marquée pour le sacrifice. Cela dit comme je le devais, si, sachant bien ce que vous faites, vous décidez de le faire, comptez que je vous aiderai de mon mieux à monter à l'autel.

 

Disposez de votre vieil ami. Gaston Baty

 

 

P.S. - Je me relis et tout n'est que trop vrai. Une vie au théâtre, surtout d'une femme, va vers cette fin-là. Mais en dehors du théâtre, est-il une autre vie ?